Des voyages en séries, pilote.

Les séries TV américaines font de nombreuses références à l'Europe ou à son art qui les influencent profondément, on peut donc s'intéresser à la vision qu'elles ont du vieux continent. Penchons-nous d'abord sur la notion de séries, par leur format elles sont rendues particulièrement efficaces pour dépeindre le quotidien de leurs personnages, leur évolution. C'est pourquoi elles rencontrent tant de succès, elles immergent le spectateur dans des univers qui s'enrichissent de saison en saison, et laissent souvent surgir une réelle histoire des personnages, parfois une mythologie télévisuelle.On peut ainsi les considérer comme la forme actuelle de l’œuvre balzacienne qui serait leur ancêtre de papier. On s'intéressera alors à la vision que les Américains ont de l'Europe à travers ces programmes dont ils sont les maîtres incontestés.  Pour commencer notre excursion dans le monde télévisuel, l'on  plongera tout d'abord dans l'Europe une véritable antre des rêves, puis nous nous interrogerons sur le rapport ambigu des États-Unis au vieux continent, terre des origines.

Le petit fantasme européen...

Si l'on nourrit de nombreuses idées reçues à propos du pays des Indiens, des cowboys et du Superbowl, la réciproque est toute autant vraie. D'après Henri Quéré1, on se transpose du "domaine du savoir au domaine du croire". L'exemple le plus flagrant de ce fantasme se trouve probablement dans  la série Brothers & Sisters qui véhicule le cliché du petit français. On y retrouve, dans leur splendeur tous les stéréotypes que l'on puisse imaginer. Tous les fantasmes en apparaissent à travers la rencontre de Luc et Sarah, cette dernière est toujours pragmatique, les pieds sur terre et gère les économies de l'entreprise familiale, elle devient presque un symbole des États-Unis capitalistes se heurtant à un échec. Le contexte de la crise économique est omniprésent, Sarah découvre les manipulations de son père, elle tente d'assainir la situation mais devra lâcher prise après des mois de lutte en s'associant avec son ennemie puis en démissionnant.  L'entreprise sera d'ailleurs vendue lors de l'avant-dernier épisode de la saison 4. (diffusé le 9 mai 2010 aux États-Unis) Quand le modèle fondé par William Walker, le défunt patriarche s'effondre et que la famille dit au revoir à Ojai Food, c'est un vieil air irlandais que chante Scotty, Scotty qui n'appartient à la famille que par son alliance à Kevin. On fait donc appel à un membre extérieur à la famille Walker pour conclure symboliquement une période de leur histoire. Cet apaisement en musique presque cathartique, se manifeste en toute sobriété, quelques notes qui apparaissent puis s'effacent au milieu du silence. La pénombre quant à elle évoque le statut intermédiaire de la famille, une page se tourne, une nouvelle reste à écrire...


Mais revenons à Sarah, perdue, ne pouvant plus croire aux valeurs pour lesquelles elle vivait, elle décide de voyager et de se laisser porter par ses désirs et intuitions. Sa rencontre avec Luc (épisode 4 de la saison 4), un artiste d'origine méditerranéenne est d'abord dépeinte comme un rêve à Kitty qui subit une chimiothérapie. La deux chevaux, les habits à la mode des années 30 et bien d'autres symboles sont réunis dans cet épisode.Cela permet à la sœur de Sarah de s'évader de son angoissant quotidien et de rêvasser quant à cette fameuse aventure française. Ce que Sarah fera passer pour de la fiction est réel, on l'apprend ensuite. Les clichés se succèdent, mais c'est assumé comme le montre l'apparition du panneau "Cliché-sur-mer", Luc le bel étalon vit à la campagne, il aime le fromage, le bon vin, etc. A la fin de la série on découvre ses cousins, coureurs de jupon, prétentieux, ne parlant pas l'anglais.




Le cliché du petit français, so frenchie ! (partie 1 de la rencontre torride entre la femme d'affaire américaine et le romantique peintre français, à suivre tout au long du billet...)

On retrouve le caractère réaliste de Sarah chez sa fille, Paige puisqu'elle pressent toujours les malheurs, au début de la série elle assiste à la mort de son grand-père, elle découvre ensuite la maladie de Kitty alors qu'on voulait lui cacher. Cette maturité lui permet d'accepter les situations qu'elle ne maîtrise pas, du divorce de ses parents lors de la saison 1 à l'arrivée de Luc. Paige est une enfant très stable qui grandit et chemine vers l'adolescence, en revanche son frère plus jeune et agité aura une réaction différente à l'arrivée de Luc. Il le considérera comme un copain de jeux porteur de liberté. L'agressivité apparaît quand le peintre s'installe à la maison, prend la place de l'homme et comme Sarah, instaure des règles. On approfondit donc le thème des familles recomposées puisque Luc et Cooper construisent leur propre relation. Mais ce qui nous intéresse le plus avec cette intrigue est le passage d'une relation idéalisée, à une réalité concrète. Le coup de foudre survenu en France s'éloigne pour ne demeurer qu'un lointain souvenir. On remarque au passage les beaux clichés de la France, les femmes enceintes boivent du vin, on aime le fromage, les omelettes, etc. Il faudra se confronter au quotidien, aux détails auxquels on n'avait pas pensé, à divers désaccords pour que le couple fonctionne, c'est une évolution très intéressante. Quelques épisodes plus tôt, Sarah avait d'ailleurs dû choisir entre l'amour et la raison, la sécurité ou la passion. Essayer de se convaincre qu'elle aimait un sage père divorcé fut un échec. (oserait-on énoncer ce qui est devenu un  lieu commun "Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point" ? ) On voit donc comment un fantasme français évolue dans un quotidien américain. Les scénaristes de la série jouent ici sciemment avec l'imaginaire du téléspectateur européen, avec leurs références culturelles communes.


La représentation de l'Europe, mise à l'écart du réalisme est généralisée à l'ensemble des séries télévisées américaines, si bien qu'il est difficile d'en trouver un contre-exemple. On se rappelle d'un épisode des Simpsons où Bart est envoyé chez un paysanf français alcoolique. Quant à Paris, c'est un lieu privilégié pour développer certaines intrigues, elles aiment y faire un passage pour mettre en évidence son aspect pittoresque, plus que pictural, laissant les clichés se succéder. C'est le cas dans Smallville (les plans avaient d'ailleurs été tournés aux États-Unis pour raisons économiques) ou dans Gossip girl, une série souvent classée parmi les "guilty pleasure", c'est-à-dire qui apporte au téléspectateur (ici adolescent) précisément ce qu'il recherche. La série fait donc sans surprise, à propos de Paris du "gossip".


"Le paradoxe du cliché,  c'est alors, sur des bases stériles,  ce ferment et ce regain de productivité." S'il est réalisé brillamment, s'il est source de plaisir, on assiste alors à un véritable gain dans la perte, ce que l'on perd en réalisme on le gagne avec la puissance de l'imaginaire. L'aspect négatif que peut ainsi véhiculer le terme "cliché' s'inverse en une tendance largement positive, d'après Henri Quéré, on pourrait retrouver les thèses de Roland Barthes qui place le langage, c'est-à-dire le support au centre de l'art littéraire. L'adhésion du public est grande puisque les clichés appartiennent à la conscience collective. D'autre part on considère la métaphore en tant que médiation, "nous définissons la réalité en terme de métaphores"écrit Michel Morel 2 . Notre vision du monde est donc " guidée par nos constructions métaphoriques." Si Roland Barthes a entrepris une croisade contre la doxa, contre les "répétitions mortes", les périphrases usées, etc. il n'en est pas moins intéressant d'étudier toutes les formes d'écritures, pour nous de perceptions du monde. Les clichés lexicaux sont donc tout autant intéressants à analyser, à la fois marque d'une culture et d'un langage, ici télévisuel. Les clichés témoignent donc comme le montre Henri Quéré de "schémas et de rythmes profondément ancrés" dans nos sociétés.


1. "Le cliché : pour ou contre" dans Le Cliché, édition de Gilles Mathis.
2. "Les ambivalences du cliché", Le Cliché

De la littérature européenne aux séries télévisées

Les séries télévisées américaines se réapproprient souvent les mythes européens, l'histoire antique est par exemple évoquée et remaniée selon les besoins des scénaristes, on pense à Charmed  (une série où trois sœurs se découvrent sorcières) qui en a usé et abusé. On verra ainsi se succéder Cupidon, les Titans, les Amazones, ou les sirènes mais le succès de la série est probablement dû au mélange des influences, des voyages dans le temps nous mèneront ainsi à l'époque de la chasse au sorcière ! Les Simpsons, pour les séries animées mêlent lors d'un épisode ("Scary Tales Can Come True" dans les Simpsons Horror show 11) les contes européens de Perraut avec d'autres histoires légendaires connues de tous. Bart et Lisa se transforment donc en petits poucets et rencontrent dans leurs aventures de nombreuses figures ou lieux mythiques tels que la sorcière et sa maison de pain d'épices...

Les références à la littérature se succèdent de façon plus ou moins évidentes,  on étudiera quelques séries où elles sont mentionnées. Prenons Wuthering Heights d'Emily Brontë, l'atmosphère de l’œuvre n'a-t-elle pas influencé beaucoup d'entre elles ? Cet auteur a marqué la fiction bien plus qu'on ne pourrait le penser, elle ne peut être négligée dans le paysage culturel anglosaxon, son évocation suggère des collines brumeuses, des personnages passionnés et portent à notre esprit une mosaïque d'images. Mais l'influence de l’œuvre va encore plus loin. On pourrait par exemple retrouver quelques aspects du livre dans la série télévisée The Vampire Diaries co-crée par Kevin Williamson, le scénariste à l'origine de Dawson's creek. (il avait écrit seul la première dizaine d'épisodes, en s'inspirant largement de sa propre vie) Le parallèle peut sembler audacieux mais nous savons que les scénaristes ont lu ces œuvres, qu'elles les ont marqués. Dans Dawson's creek, Pacey étudiait Wuthering Heights en cours de littérature, quelques années plus tard le même scénariste place à nouveau cette œuvre au milieu de The Vampire Diaries, en effet c'est précisément le livre que Stefan Salvator prête à Elena, le personnage principal. Cela ne peut être totalement innocent, l'esprit du livre est à l'origine de la série, c'est sous ce signe qu'on a décidé de la placer.

D'après Wikipedia, le roman s'est distingué par la noirceur de ses personnages et la violence de ses situations. D'après le journal The atlas en 1848, c'est un roman qui présente "les atroces tourments de deux générations de créatures infortunées." Or, ce parallèle est omniprésent dans la série télévisée.
"Un mauvais génie préside au déroulement de l'histoire et sa personnalité démoniaque, jetant une ombre sinistre sur l'ensemble du livre."  dit The Atlas Les scénaristes de The Vampire Diaries utilisent des codes facilement identifiables pour jeter cette ombre sinistre par l'intermédiaire du corbeau lors des premiers épisodes. Les menaces se succéderont ensuite sous différentes figures, à mesure qu'on les découvre elles deviennent moins obscures et quittent leur rôle initial pour céder la place à un nouvel élément inconnu. Damon, premier méchant de la série s'effacera donc devant Isobel ou Katherine, apparaitront ensuite Klaus, Mikael... Les ombres se levant sur leurs histoires ils nous paraîtront chacun plus humains et compréhensibles. Heathcliif, un peu comme Damon est le mauvais génie du livre, une ombre qui plane sur vous à chaque moment mais racheté par sa fidélité à Catherine, à l'instar de notre vampire.
"La réalité de l'irréel n'a jamais été mieux prouvée que dans les scènes de sauvagerie qu'Ellis Bell nous présente de façon si frappante."
D'après le journal Britannia en 1848 : "la douleur de Heathcliff devant la mort  de Catherine atteint son sublime" (on se souvient de Damon en transition qui n'a plus d'autre désir que mourir).Catherine Earnshaw est capricieuse,  impatiente et impulsive tout comme Katherine. La seconde Catherine pourrait correspondre à Elena dans la série, elle est en revanche plus à plaindre qu'à blâmer, généreuse, bref d'une nature fondamentalement différente. Elle accepte Hareton, malgré ses différences et ses manières brutes qui l'avaient tout d'abord effrayée.  Mais on ne connaît pas réellement la mystérieuse Isobel que l'on pourrait peut-être mieux rapprocher de Catherine Earnshaw (Katherine n'ayant pas eu de sentiments assez forts pour les frères Salvator), pour son égoïsme mais aussi sa mort. Elle a quitté sa famille, est morte pour une passion destructrice. Comme Catherine Earnshaw elle s'était mariée avec un homme bon qu'elle aimait tendrement mais sans passion, un homme rationnel. L'une se fait transformer, l'autre se laisse mourir et plonge dans des démences qui la mènent au pays des fantômes. (on se souvient du narrateur, M. Lockwood rêvant d'un fantôme nommé Catherine.)  Finalement on assiste à la naissance d'un nouvel amour, celui de Cathy et d'Hareton dans le roman et à une renaissance pour Stephan qui rencontre Elena. Les fantômes demeurent toutefois dans la lande...
Si ces passerelles restent incertaines, il n'en est rien de l'ambiance générale des deux œuvres :  les amours passionnées, paysages fantasmagoriques, brouillards et cimetières se réunissent...

Finalement, les références à la littérature se multiplient, si bien qu'on en vient à penser que les séries télévisées sont hantées par les topos romantiques et tous ce qu'avaient mis en place la littérature européenne, principalement du XIX ème siècle.
L’Europe des arts a un écho direct dans la vie des personnages, elle se dessine comme un horizon les guidant. On retrouve souvent des étudiants en littérature, c'est le cas de Joey Potter dans Dawson's creek, le livre qu'elle préfère depuis l'enfance est américain, il s'agit des Quatre filles du docteur March, jugé médiocre appartenant seulement à une culture populaire par les membres de sa future université. Si cette œuvre la rassure, lui rappelle ses origines puisqu'elle s'identifie directement à une héroïne elle découvrira par la suite les classiques européens. Il s'agira donc de s'ouvrir à de nouveaux horizons culturels sans renier sa propre culture. Joey également passionnée par la peinture a toujours rêvé de vivre en France, elle l'imaginait comme pays d'art et de littérature, elle souhaitait fuir son morne quotidien mais partir l'effrayait. C'est seulement après avoir atteint une certaine maturité qu'elle entrepris ce voyage.
Le professeur Wilder lui enseignant la littérature fait référence à L'Education sentimentale de Flaubert, le livre est utilisé pour faire directement écho à l'intrigue principale de l'épisode. Cela semble plus complexe dans Once & Again où Grace cite De l'amour de Tchekov qu'on lui a recommandé de lire. Elle s'interroge, peut-elle y lire un message à propos de son histoire personnelle ? On lui répond que cela n'a d'importance que pour la valeur littéraire que l’œuvre représente. Le téléspectateur comprend évidemment l'écho du passage avec sa vie mais les derniers mots montrent que le plus important n'est pas le dénouement mais la façon dont s'est écrite l'histoire.

Les intrigues liées à Joey Potter et Grace Manning ne se déploieront finalement pas dans la réalité et posséderont la beauté du non-dit. Dans la première série, une discussion entre les deux personnages le montrera.  (épisode 16, saison 5 "A lonely place" )
Joey
So what is the best ending in all of literature? Don't say Ulysses. Everyone says Ulysses.

Wilder
That's easy. Sentimental education by Flaubert.

Joey
And what happens?

Wilder
Nothing, really. Just 2 old friends sitting around remembering the best thing that never happened to them.

Joey
How do you remember something that never happened?

Wilder
Fondly. You see, Flaubert believed that anticipation was the purest form of pleasure... and the most reliable. And that while the things that actually happen to you would invariable disappoint, the things that never happened to you would never dim. Never fade. They would always be engraved in your heart with a sort of sweet sadness.

Un autre personnage a étudié la littérature, le thème récurrent ouvre bien des possibilités pour les scénaristes, les passerelles entre les genres sont faciles. On peut donc penser à Rory dans Gilmore Girls, depuis toute petit, elle rêve de devenir journaliste. La jeune fille brillante voyagera en Italie avec sa grand-mère pour échapper, elle-aussi à son quotidien. On verra défiler les beaux hôtels, les cafés délicieux, etc. L'Italie est également un refuge pour Andie McPhie (on retourne donc à Dawson's creek) qui y retrouve sa tante. La jeune fille aux profondes cicatrices est dépressive, l'Italie guérira de ses maux, elle s'y épanouira. Ce pays lointain n'est pas montré dans la série, seulement évoqué. On s'arrêtera à l'aéroport sans jamais aller plus loin, le mystère demeurera donc total quant à lui. Nous rêvons donc autant de l'Amérique que les Américains rêvent du vieux continent.

Dans One tree Hill, un autre "teenage drama", c'est le héros Lucas Scott qui est passionné par la littérature, cela permet d'employer diverses citations, de Shakespeare à Saint-Exupéry, elles donnent la voie aux personnages. Le choix du Petit Prince est révélateur puisque l'on parle de l'enfance : "Et le petit prince dit à l’homme : les adultes ne comprennent jamais rien à eux-même et c’est fatiguant pour les enfants de toujours devoir leur expliquer les choses." L' Europe évoquée est donc celle qui incite à croire en ses rêves, à avoir foi en l'avenir. Omniprésente dans les séries télévisées américaines, elle se limite à sa forme artistique. Les domaines de la vie sont donc divisés de manière géographique, le matérialisme appartiendrait davantage aux États-Unis alors que l'Europe serait la source de la culture, la clé des questionnements existentiels.

Un rapport ambigu à l'histoire

Les Américains vont utiliser la fiction pour reconstruire leurs origines, ils les réinventent sans cesse. On a d'une part l'histoire du continent et de ses populations originelles, d'autre part celle des Européens ayant émigré vers les États-Unis, cette dichotomie pose des problèmes identitaires et se reflète dans les fictions.

Le thème du vieux continent est récurrent dans un genre en vogue : les séries centrées sur les vampires. Cela est permis pour deux raisons, d'une part les personnages sont immortels, ils ont donc pu traverser les siècles et les continents, d'autre part l’œuvre de Bram Stoker, écrivain irlandais situe les premiers non-vivants en Europe de l'Est. De nombreux épisodes intégrant des flashbacks dans Buffy the vampire slayer ou Angel resituent les vampires dans leur passé, passé qui se fond avec l'Histoire européenne. On découvre Angel en Irlande où il est né durant le XVIII ème siècle, la vie d'aristocrate de Spike dans l'Angleterre du XIX ème siècle... Dans The Vampire Diaries Katharina (désormais Katherine ) provient de Bulgarie, la période de la Renaissance est évoquée et revisitée, dans True Blood, Eric est à l'origine un viking, cela constitue la meilleure partie de lui-même. Parfois il parle d'ailleurs un vieux suédois (qui nous est traduit par des sous-titres) soit dans des flashbacks soit avec Godric, le vampire qui l'a engendré pour reprendre les termes propres à la mythologie du genre.

Spike, humilié à Londres dans les salons mondains quitte son humanité après avoir été transformé en vampire.

Dans l'épisode 8 de la saison 3 de The Vampire Diaries, l'histoire est une nouvelle fois reconstruite par l'intermédiaire des vampires originaux. Ceux-ci auraient émigré vers l'Amérique bien avant sa découverte par Christophe Colomb et y auraient vécu quelques années en compagnie des loup-garous.  L'idée dominante est toujours la suivante : les origines sont toujours un lieu d'incertitude, on ne peut les connaître pleinement puisque ce vampire âgé de plusieurs milliers d'années a vécu dans l'erreur depuis l'origine. En fait, les Etats-Unis ne peuvent se détacher de ce vieux continent puisque d'après l'ouvrage Passeurs culturels "c'est le savoir de ces traditions confrontées les unes aux autres qui donne sens et relief à ce que révèle le Nouveau Monde".

Quant aux Amérindiens, leur présence est plus rare alors qu'il s'agit de l'histoire du propre territoire des scénarises. Ils ponctuent parfois les séries en étant montrés comme des sages, en relation avec un monde spirituel. On se rappelle notamment de "The Pretender", la série "Las Vegas" en dévoile toutefois certains dans la gestion des casinos, ce rapport à l'économie est simplement esquissé et évite les questions qui y sont réellement liées. Cette absence est révélatrice d'un sujet délicat sur lequel on préfère poser un voile. La situation évolue peu, pour cela il faudrait reconnaître l'existence d'un problème et de ses origines, cela noircirait l'histoire des États-Unis. Mais l'univers des séries est riche, on peut donc trouver une exception à la règle, on citera donc Blackstone, une série canadienne ! On ne se situe évidemment plus dans un programme grand public, les informations sur la série sont d'ailleurs difficiles à trouver, elle semble aussi marginale que les personnages qu'elle met en scène.

D'après Sérieslive...
Blackstone raconte la vie d'une communauté aborigène alors que son système est à la dérive : les aînés qui la dirigent sont pourris jusqu'à l'os, la hiérarchie ne fonctionne que sur la base du népotisme, et plus personne n'ose dire quoi que ce soit. En conséquence, la réserve de Blackstone semble au bord du précipice, et un incendie tragique va précipiter cette petite communauté dans le chaos.
Le générique d'ouverture nous montre une tribu qui erre entre ses souvenirs, son origine bercée par les traditions et un contexte actuel difficile, finalement une tribu qui ne trouve ni sa place ni son identité dans le monde. On navigue ainsi entre les photographies, les objets d'autrefois et les plans ancrés dans le présent, on distingue notamment un jeune garçon à vélo ne semblant pas savoir où il va. On peut également remarquer le parallèle entre les jeunes filles alignées sur leurs vélos et l'image représentant leurs ancêtres dans la même position sur leurs chevaux. Comment ces populations peuvent-elles s'adapter au monde ?




Blackstone is relevant and relational in an Aboriginal story world, with universal themes and conflicts that are not only relatable to some First Nations out there today, but also to the world of politics and power in general,” said Ron E. Scott, who created, wrote, directed and executive produced the series.
Le créateur tente de porter un regard lucide sur le monde, en s'intéressant à une minorité il montre que leurs problèmes sont aussi les nombres. La série porte donc la marque d'un engagement, il s'agit de tourner les projecteurs sur ce que l'on refuse de voir.

L'Europe terre du ressourcement

On a en quelque sorte un renversement de la situation initiale: les États-Unis qui étaient vus autrefois comme une terre neuve où tout recommencer deviennent le lieu d'un passé douloureux que ce soit pour les histoires personnelles ou l'histoire du pays. Les nouveaux départs bourgeonnent toujours à partir de l'Europe. On a plus de recul par rapport à son histoire, elle est donc vue comme plus saine, le sujet est moins sensible. On évoque Jeanne D'Arc dans Joan of Arcadia non seulement, le titre de la série est  un clin d'œil au personnage historique mais le motif de fond en est légèrement inspiré puisque Dieu parle à l'héroïne en lui donnant des missions à remplir. Lorsque l'on parle de l'histoire de l'Europe aux personnages c'est pour leur transmettre des leçons sur la vie, les exemples donnés sont primordiaux, comme s'il fallait pour évoluer de manière positive trouver ses sources. Ce qui avait été fui par les premiers colons, on essaye désormais de le retrouver.

Le plus souvent, les personnages qui vont en Europe sortent de la série, s'absentent de l'écran et disparaissent dans ces zones inconnues. Cela peut s'expliquer par le fait qu'elles traitent principalement du quotidien des personnages, faire écho à celui des téléspectateurs américains, elles se déroulent donc le plus souvent aux États-Unis. Quelques rares séries y font exception telles que Friends où l'on ose franchir l'Atlantique lors de deux épisodes spéciaux. Si l'épisode peut correspondre à une parenthèse dans la série, le rythme ou le comportement des personnages n'a toutefois rien de différent par rapport à ceux se déroulant sur le sol américain, en dévoilant cette excursion à travers ses détails les plus contingents on désacralise l'étranger. Le générique de fin est d'ailleurs mis à l'heure anglais. Ainsi l'épisode 23 de la saison 4 voit notre cercle d'amis déjantés se rendre à Londres pour le mariage de Ross avec une anglaise, Emily. On débarque enfin sur le vieux continent, on aperçoit toutes les étapes du voyage y compris le trajet en avion.Une fois arrivés, on se heurte à la rigidité de la famille de la future mariée, aux mœurs du pays. Quant à Chandler et Joey ils nous permettent d'apercevoir la ville du point de vue de touristes. Les lieux symboliques se succèdent comme on peut le voir dans l'extrait suivant.


Cet épisode correspond encore aux scènes cultes de la série, devenu anthologique il montre la fascination pour un ailleurs, ailleurs qui va permettre de dénouer des situations, d'en créer d'autres totalement inattendues. La relation entre Monica et Chandler y naît, on sait qu'elle sera pérenne et s'épanouira au fil des épisodes suivants. Les deux amis se découvrent sous un angle nouveau et deviennent amants. Cet amour sera véritable, ils se marieront sans jamais se séparer jusqu'à la fin de la série, ce couple sera en quelque sorte le fruit du voyage à Londres, ville qui déclenche le changement. A l'inverse, la relation de Ross avec une Londonienne rencontrée aux Etats-Unis se muera en échec, les différences qui les séparent seront trop grandes, l'altérité est ici un obstacle mais cela lui permettra de mieux se connaître lui-même, l'échec sera bienfaiteur puisque le téléspectateur avait anticipé l'échec depuis bien longemps. Passer par un espace inconnu permettrait donc de réveiller sa conscience personnelle, d'établir une ceraine introspection, cela peut laisser penser que l'altérité permettrait de mieux accéder à l'intériorité. 

l'Europe, un idéal qu'on ne doit pas ancrer dans le réel

Les séries parlant de l'apocalypse, ou de bouleversements du monde on tendance à se centrer seulement sur les effets que cela peu avoir sur les Etats-Unis, le reste du monde est laissé dans l'ombre. Ce forme d'égocentrisme américain se rouve par exemple dans Jeremiah ou Dark Angel. Un autre phénomène nous intéresse, celui de l'adaptation de séries européennes, on pense aux brianniques Skins ou Being Human, celles-ci gardent le titre on y ajoute simplemen la mention "US".  Les Etats-Unis possèdent des créateurs de série renommés mais ils ressentent le besoin d'adapter les succès européens au lieu de les diffuser tels quels, de se les approprier. Pourquoi ? Les intrigues restent globalement les mêmes, on choisit des acteurs ressemblant plus ou moins aux britanniques. Quel est donc l'intérêt de ce procédé à part l'aspect économique ? On transpose les intrigues dans son propre univers comme si l'on ne pouvait s'identifier aux aventures de personnages que dans notre propre monde, cela correspond à un refus de l'altérité pleine. Le cadre des petites banlieues londoniennes charment bon nombre de téléspectateurs français, pour leur originalié face à l'hégémonie américaine mais sous le poids des networks elles se retrouven donc uniformisées.

Cela change avec Lost et Heroes qui s'ouvrent au monde. Dans les deux séries on voit d'ailleurs des personnages étrangers parler dans leur langue d'origine fait suffisamment rare pour être mentionné. Mais l'on note une grande différence la première propose une nouveauté réelle tandis que la seconde ne s'inscrit finalement que dans une certaine tradition télévisuelle. Dans Heroes, l'Europe est moins présente. L'Amérique dans son ensemble est représentée, Mexique, Etats-Unis, etc. L'Asie est très présente : Japon, Inde et l'Afrique apparaît plusieurs fois.Seuls les noms des personnages évoquent des origines européennes avec Simone Deveaux pour la France ou la famille Petrelli pour l'Italie. On a ici une véritable dichotomie de l'Europe, celle qui s'est transposée aux Etats-Unis et sa vision fantasmée. On ne peut la voir apparaître sous forme réaliste puisque ce serait problématiser l'identité américaine.  Ainsi dans Heroes : Matt et Daphne ne s'y rendent pas ensemble dans la réalité mais seulement sous forme de songe, notre héros fait voler la jeune mourante au dessus de la tout Eiffel, le premier symbole de la France.

Pour eux, il ne peut y avoir deux Europe. Pour préserver le rêve, ils rejettent la plus réaliste, les Européens réels ce sont donc eux, les Américains. Cela leur permet de ne pas briser leurs illusions quant à leurs origines, pour être encore rêvé le continent européen ne doit pas être découvert sous son vrai jour. On découvre et réinvente son histoire, on imagine son présent mais on ne s'y confronte pas directement. Dans Passeurs culturels, Johanna Nowicki désigne ainsi l'Amérique du Nord comme "l'Autre Europe" et parle plus tard de véritable "schizophrénie culturelle".

Dans Lost, la chanson "La Mer" de Charles Trenet devient une clé à part entière de l'intrigue, pas seulement un accompagnement. Les paroles même sont à décrypter par les personnages et employées dans le scénario, elles participent à un code. Rousseau, un personnage français y fera référence mais c'est Shannon qui la fredonne au début de la série.

Dans Alias, le personnage principal parle de nombreuses langues, dont le français. La série nous apporte des éléments topographiques très précis, toujours relativement réalistes, on ne se limite pas à Paris puisque l'on aperçoit Nice et bien d'autres villes européennes. Avec JJ Abrams, la réalité prend part à la fiction, on hésite pas à voyager d'états en états, non pour des romances mais pour des affaires d'espionnages ou de politique. Nous avons un véritable changement de situation par rapport aux autres séries, c'est peut-être une des raisons du succès de ses productions, comme le dit  Anna Torv l'actrice principale de Fringe : "il nous immerge dans des réalités profondes". En ce sens il a révolutionné le petit écran et s'est élevé au rang de référence.

Néanmoins, les personnages de Lost sont bloqués sur l'île, le continent restera inatteignable.  Les Etats-Unis étant devenus eux-mêmes un lointain horizon. Quant à Alias, on se limite aux riches villas de la côté d'Azur, aux luxueux hôtels parisiens, les évènements appartenant au domaine privé se déroulent tous aux Etats-Unis, les scènes d'action ou des plans longuement calculés se mettent en place à l'étranger. La spontanéité, le naturel n'a de place qu'aux Etats-Unis, l'Europe on la tient tout de même à distance, si on y pénètre on doit la maîtriser. Cela nous rappelle également le double épisode final de The Pretender qui se déroule sur une île proche des côtes irlandaises. Ce n'est pas vraiment l'Europe puisqu'on se situe dans une sorte de non-lieu, de non-temps. Cet espace clos, mythique, sombre est presque surréaliste avec cette tempête qui se déchaîne, cette nature qui se déchire. Les époques se mêlent quant à elles, on découvre de vieux manuscrits, le héros dort dans un monastère, découvre dans un cimetière des secrets enfouis. Le surnaturel apparaît quand Mlle Parker aperçoit en vision l'une de ses ancêtres. Cette série qui n'avait jamais cotoyé avec le fantastique commence donc à le faire en se rapprochant des côtes européennes. Les personnages découvrent dans cet épisode leurs origines mais aucune réponse ne nous est donné entièrement comme si le mystère devait continuer à planer.

Générique de fin...

Pour conclure, l'on fera référence aux travaux de Gilbert Durand dans Les structures anthropologiques de l'imaginaire. L'histoire ne serait pas à l'origine des images, ce serait elles qui nous fondent. On ne devrait donc pas seulement les considérer comme déformation de la réalité mais bien comme essence de la construction de notre histoire, personnelle ou universelle, essence de notre identité. On pense alors à Victor Hugo qui déclarait : "On jugerait bien plus sûrement un homme d'après ce qu'il rêve que d'après ce qu'il pense."

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