Le petit fantasme européen...

Si l'on nourrit de nombreuses idées reçues à propos du pays des Indiens, des cowboys et du Superbowl, la réciproque est toute autant vraie. D'après Henri Quéré1, on se transpose du "domaine du savoir au domaine du croire". L'exemple le plus flagrant de ce fantasme se trouve probablement dans  la série Brothers & Sisters qui véhicule le cliché du petit français. On y retrouve, dans leur splendeur tous les stéréotypes que l'on puisse imaginer. Tous les fantasmes en apparaissent à travers la rencontre de Luc et Sarah, cette dernière est toujours pragmatique, les pieds sur terre et gère les économies de l'entreprise familiale, elle devient presque un symbole des États-Unis capitalistes se heurtant à un échec. Le contexte de la crise économique est omniprésent, Sarah découvre les manipulations de son père, elle tente d'assainir la situation mais devra lâcher prise après des mois de lutte en s'associant avec son ennemie puis en démissionnant.  L'entreprise sera d'ailleurs vendue lors de l'avant-dernier épisode de la saison 4. (diffusé le 9 mai 2010 aux États-Unis) Quand le modèle fondé par William Walker, le défunt patriarche s'effondre et que la famille dit au revoir à Ojai Food, c'est un vieil air irlandais que chante Scotty, Scotty qui n'appartient à la famille que par son alliance à Kevin. On fait donc appel à un membre extérieur à la famille Walker pour conclure symboliquement une période de leur histoire. Cet apaisement en musique presque cathartique, se manifeste en toute sobriété, quelques notes qui apparaissent puis s'effacent au milieu du silence. La pénombre quant à elle évoque le statut intermédiaire de la famille, une page se tourne, une nouvelle reste à écrire...


Mais revenons à Sarah, perdue, ne pouvant plus croire aux valeurs pour lesquelles elle vivait, elle décide de voyager et de se laisser porter par ses désirs et intuitions. Sa rencontre avec Luc (épisode 4 de la saison 4), un artiste d'origine méditerranéenne est d'abord dépeinte comme un rêve à Kitty qui subit une chimiothérapie. La deux chevaux, les habits à la mode des années 30 et bien d'autres symboles sont réunis dans cet épisode.Cela permet à la sœur de Sarah de s'évader de son angoissant quotidien et de rêvasser quant à cette fameuse aventure française. Ce que Sarah fera passer pour de la fiction est réel, on l'apprend ensuite. Les clichés se succèdent, mais c'est assumé comme le montre l'apparition du panneau "Cliché-sur-mer", Luc le bel étalon vit à la campagne, il aime le fromage, le bon vin, etc. A la fin de la série on découvre ses cousins, coureurs de jupon, prétentieux, ne parlant pas l'anglais.




Le cliché du petit français, so frenchie ! (partie 1 de la rencontre torride entre la femme d'affaire américaine et le romantique peintre français, à suivre tout au long du billet...)

On retrouve le caractère réaliste de Sarah chez sa fille, Paige puisqu'elle pressent toujours les malheurs, au début de la série elle assiste à la mort de son grand-père, elle découvre ensuite la maladie de Kitty alors qu'on voulait lui cacher. Cette maturité lui permet d'accepter les situations qu'elle ne maîtrise pas, du divorce de ses parents lors de la saison 1 à l'arrivée de Luc. Paige est une enfant très stable qui grandit et chemine vers l'adolescence, en revanche son frère plus jeune et agité aura une réaction différente à l'arrivée de Luc. Il le considérera comme un copain de jeux porteur de liberté. L'agressivité apparaît quand le peintre s'installe à la maison, prend la place de l'homme et comme Sarah, instaure des règles. On approfondit donc le thème des familles recomposées puisque Luc et Cooper construisent leur propre relation. Mais ce qui nous intéresse le plus avec cette intrigue est le passage d'une relation idéalisée, à une réalité concrète. Le coup de foudre survenu en France s'éloigne pour ne demeurer qu'un lointain souvenir. On remarque au passage les beaux clichés de la France, les femmes enceintes boivent du vin, on aime le fromage, les omelettes, etc. Il faudra se confronter au quotidien, aux détails auxquels on n'avait pas pensé, à divers désaccords pour que le couple fonctionne, c'est une évolution très intéressante. Quelques épisodes plus tôt, Sarah avait d'ailleurs dû choisir entre l'amour et la raison, la sécurité ou la passion. Essayer de se convaincre qu'elle aimait un sage père divorcé fut un échec. (oserait-on énoncer ce qui est devenu un  lieu commun "Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point" ? ) On voit donc comment un fantasme français évolue dans un quotidien américain. Les scénaristes de la série jouent ici sciemment avec l'imaginaire du téléspectateur européen, avec leurs références culturelles communes.


La représentation de l'Europe, mise à l'écart du réalisme est généralisée à l'ensemble des séries télévisées américaines, si bien qu'il est difficile d'en trouver un contre-exemple. On se rappelle d'un épisode des Simpsons où Bart est envoyé chez un paysanf français alcoolique. Quant à Paris, c'est un lieu privilégié pour développer certaines intrigues, elles aiment y faire un passage pour mettre en évidence son aspect pittoresque, plus que pictural, laissant les clichés se succéder. C'est le cas dans Smallville (les plans avaient d'ailleurs été tournés aux États-Unis pour raisons économiques) ou dans Gossip girl, une série souvent classée parmi les "guilty pleasure", c'est-à-dire qui apporte au téléspectateur (ici adolescent) précisément ce qu'il recherche. La série fait donc sans surprise, à propos de Paris du "gossip".


"Le paradoxe du cliché,  c'est alors, sur des bases stériles,  ce ferment et ce regain de productivité." S'il est réalisé brillamment, s'il est source de plaisir, on assiste alors à un véritable gain dans la perte, ce que l'on perd en réalisme on le gagne avec la puissance de l'imaginaire. L'aspect négatif que peut ainsi véhiculer le terme "cliché' s'inverse en une tendance largement positive, d'après Henri Quéré, on pourrait retrouver les thèses de Roland Barthes qui place le langage, c'est-à-dire le support au centre de l'art littéraire. L'adhésion du public est grande puisque les clichés appartiennent à la conscience collective. D'autre part on considère la métaphore en tant que médiation, "nous définissons la réalité en terme de métaphores"écrit Michel Morel 2 . Notre vision du monde est donc " guidée par nos constructions métaphoriques." Si Roland Barthes a entrepris une croisade contre la doxa, contre les "répétitions mortes", les périphrases usées, etc. il n'en est pas moins intéressant d'étudier toutes les formes d'écritures, pour nous de perceptions du monde. Les clichés lexicaux sont donc tout autant intéressants à analyser, à la fois marque d'une culture et d'un langage, ici télévisuel. Les clichés témoignent donc comme le montre Henri Quéré de "schémas et de rythmes profondément ancrés" dans nos sociétés.


1. "Le cliché : pour ou contre" dans Le Cliché, édition de Gilles Mathis.
2. "Les ambivalences du cliché", Le Cliché

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