De la littérature européenne aux séries télévisées

Les séries télévisées américaines se réapproprient souvent les mythes européens, l'histoire antique est par exemple évoquée et remaniée selon les besoins des scénaristes, on pense à Charmed  (une série où trois sœurs se découvrent sorcières) qui en a usé et abusé. On verra ainsi se succéder Cupidon, les Titans, les Amazones, ou les sirènes mais le succès de la série est probablement dû au mélange des influences, des voyages dans le temps nous mèneront ainsi à l'époque de la chasse au sorcière ! Les Simpsons, pour les séries animées mêlent lors d'un épisode ("Scary Tales Can Come True" dans les Simpsons Horror show 11) les contes européens de Perraut avec d'autres histoires légendaires connues de tous. Bart et Lisa se transforment donc en petits poucets et rencontrent dans leurs aventures de nombreuses figures ou lieux mythiques tels que la sorcière et sa maison de pain d'épices...

Les références à la littérature se succèdent de façon plus ou moins évidentes,  on étudiera quelques séries où elles sont mentionnées. Prenons Wuthering Heights d'Emily Brontë, l'atmosphère de l’œuvre n'a-t-elle pas influencé beaucoup d'entre elles ? Cet auteur a marqué la fiction bien plus qu'on ne pourrait le penser, elle ne peut être négligée dans le paysage culturel anglosaxon, son évocation suggère des collines brumeuses, des personnages passionnés et portent à notre esprit une mosaïque d'images. Mais l'influence de l’œuvre va encore plus loin. On pourrait par exemple retrouver quelques aspects du livre dans la série télévisée The Vampire Diaries co-crée par Kevin Williamson, le scénariste à l'origine de Dawson's creek. (il avait écrit seul la première dizaine d'épisodes, en s'inspirant largement de sa propre vie) Le parallèle peut sembler audacieux mais nous savons que les scénaristes ont lu ces œuvres, qu'elles les ont marqués. Dans Dawson's creek, Pacey étudiait Wuthering Heights en cours de littérature, quelques années plus tard le même scénariste place à nouveau cette œuvre au milieu de The Vampire Diaries, en effet c'est précisément le livre que Stefan Salvator prête à Elena, le personnage principal. Cela ne peut être totalement innocent, l'esprit du livre est à l'origine de la série, c'est sous ce signe qu'on a décidé de la placer.

D'après Wikipedia, le roman s'est distingué par la noirceur de ses personnages et la violence de ses situations. D'après le journal The atlas en 1848, c'est un roman qui présente "les atroces tourments de deux générations de créatures infortunées." Or, ce parallèle est omniprésent dans la série télévisée.
"Un mauvais génie préside au déroulement de l'histoire et sa personnalité démoniaque, jetant une ombre sinistre sur l'ensemble du livre."  dit The Atlas Les scénaristes de The Vampire Diaries utilisent des codes facilement identifiables pour jeter cette ombre sinistre par l'intermédiaire du corbeau lors des premiers épisodes. Les menaces se succéderont ensuite sous différentes figures, à mesure qu'on les découvre elles deviennent moins obscures et quittent leur rôle initial pour céder la place à un nouvel élément inconnu. Damon, premier méchant de la série s'effacera donc devant Isobel ou Katherine, apparaitront ensuite Klaus, Mikael... Les ombres se levant sur leurs histoires ils nous paraîtront chacun plus humains et compréhensibles. Heathcliif, un peu comme Damon est le mauvais génie du livre, une ombre qui plane sur vous à chaque moment mais racheté par sa fidélité à Catherine, à l'instar de notre vampire.
"La réalité de l'irréel n'a jamais été mieux prouvée que dans les scènes de sauvagerie qu'Ellis Bell nous présente de façon si frappante."
D'après le journal Britannia en 1848 : "la douleur de Heathcliff devant la mort  de Catherine atteint son sublime" (on se souvient de Damon en transition qui n'a plus d'autre désir que mourir).Catherine Earnshaw est capricieuse,  impatiente et impulsive tout comme Katherine. La seconde Catherine pourrait correspondre à Elena dans la série, elle est en revanche plus à plaindre qu'à blâmer, généreuse, bref d'une nature fondamentalement différente. Elle accepte Hareton, malgré ses différences et ses manières brutes qui l'avaient tout d'abord effrayée.  Mais on ne connaît pas réellement la mystérieuse Isobel que l'on pourrait peut-être mieux rapprocher de Catherine Earnshaw (Katherine n'ayant pas eu de sentiments assez forts pour les frères Salvator), pour son égoïsme mais aussi sa mort. Elle a quitté sa famille, est morte pour une passion destructrice. Comme Catherine Earnshaw elle s'était mariée avec un homme bon qu'elle aimait tendrement mais sans passion, un homme rationnel. L'une se fait transformer, l'autre se laisse mourir et plonge dans des démences qui la mènent au pays des fantômes. (on se souvient du narrateur, M. Lockwood rêvant d'un fantôme nommé Catherine.)  Finalement on assiste à la naissance d'un nouvel amour, celui de Cathy et d'Hareton dans le roman et à une renaissance pour Stephan qui rencontre Elena. Les fantômes demeurent toutefois dans la lande...
Si ces passerelles restent incertaines, il n'en est rien de l'ambiance générale des deux œuvres :  les amours passionnées, paysages fantasmagoriques, brouillards et cimetières se réunissent...

Finalement, les références à la littérature se multiplient, si bien qu'on en vient à penser que les séries télévisées sont hantées par les topos romantiques et tous ce qu'avaient mis en place la littérature européenne, principalement du XIX ème siècle.
L’Europe des arts a un écho direct dans la vie des personnages, elle se dessine comme un horizon les guidant. On retrouve souvent des étudiants en littérature, c'est le cas de Joey Potter dans Dawson's creek, le livre qu'elle préfère depuis l'enfance est américain, il s'agit des Quatre filles du docteur March, jugé médiocre appartenant seulement à une culture populaire par les membres de sa future université. Si cette œuvre la rassure, lui rappelle ses origines puisqu'elle s'identifie directement à une héroïne elle découvrira par la suite les classiques européens. Il s'agira donc de s'ouvrir à de nouveaux horizons culturels sans renier sa propre culture. Joey également passionnée par la peinture a toujours rêvé de vivre en France, elle l'imaginait comme pays d'art et de littérature, elle souhaitait fuir son morne quotidien mais partir l'effrayait. C'est seulement après avoir atteint une certaine maturité qu'elle entrepris ce voyage.
Le professeur Wilder lui enseignant la littérature fait référence à L'Education sentimentale de Flaubert, le livre est utilisé pour faire directement écho à l'intrigue principale de l'épisode. Cela semble plus complexe dans Once & Again où Grace cite De l'amour de Tchekov qu'on lui a recommandé de lire. Elle s'interroge, peut-elle y lire un message à propos de son histoire personnelle ? On lui répond que cela n'a d'importance que pour la valeur littéraire que l’œuvre représente. Le téléspectateur comprend évidemment l'écho du passage avec sa vie mais les derniers mots montrent que le plus important n'est pas le dénouement mais la façon dont s'est écrite l'histoire.

Les intrigues liées à Joey Potter et Grace Manning ne se déploieront finalement pas dans la réalité et posséderont la beauté du non-dit. Dans la première série, une discussion entre les deux personnages le montrera.  (épisode 16, saison 5 "A lonely place" )
Joey
So what is the best ending in all of literature? Don't say Ulysses. Everyone says Ulysses.

Wilder
That's easy. Sentimental education by Flaubert.

Joey
And what happens?

Wilder
Nothing, really. Just 2 old friends sitting around remembering the best thing that never happened to them.

Joey
How do you remember something that never happened?

Wilder
Fondly. You see, Flaubert believed that anticipation was the purest form of pleasure... and the most reliable. And that while the things that actually happen to you would invariable disappoint, the things that never happened to you would never dim. Never fade. They would always be engraved in your heart with a sort of sweet sadness.

Un autre personnage a étudié la littérature, le thème récurrent ouvre bien des possibilités pour les scénaristes, les passerelles entre les genres sont faciles. On peut donc penser à Rory dans Gilmore Girls, depuis toute petit, elle rêve de devenir journaliste. La jeune fille brillante voyagera en Italie avec sa grand-mère pour échapper, elle-aussi à son quotidien. On verra défiler les beaux hôtels, les cafés délicieux, etc. L'Italie est également un refuge pour Andie McPhie (on retourne donc à Dawson's creek) qui y retrouve sa tante. La jeune fille aux profondes cicatrices est dépressive, l'Italie guérira de ses maux, elle s'y épanouira. Ce pays lointain n'est pas montré dans la série, seulement évoqué. On s'arrêtera à l'aéroport sans jamais aller plus loin, le mystère demeurera donc total quant à lui. Nous rêvons donc autant de l'Amérique que les Américains rêvent du vieux continent.

Dans One tree Hill, un autre "teenage drama", c'est le héros Lucas Scott qui est passionné par la littérature, cela permet d'employer diverses citations, de Shakespeare à Saint-Exupéry, elles donnent la voie aux personnages. Le choix du Petit Prince est révélateur puisque l'on parle de l'enfance : "Et le petit prince dit à l’homme : les adultes ne comprennent jamais rien à eux-même et c’est fatiguant pour les enfants de toujours devoir leur expliquer les choses." L' Europe évoquée est donc celle qui incite à croire en ses rêves, à avoir foi en l'avenir. Omniprésente dans les séries télévisées américaines, elle se limite à sa forme artistique. Les domaines de la vie sont donc divisés de manière géographique, le matérialisme appartiendrait davantage aux États-Unis alors que l'Europe serait la source de la culture, la clé des questionnements existentiels.

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